Accueil

Musique et science :
des repères pour faire ses gammes

Quelques portes entrouvertes…
   •  Musique et neurosciences
   •  Musique et biologie
   •  Musique et physique
   •  Musique et ethnologie
   •  Musique et astronomie

La musique en bandes dessinées

Dossier documentaire


Pour recevoir gratuitement l’affiche
de Do ré mi fa sol... la science!

Pour nous joindre

 

 

Elvis Presley (Source)
 

Mots-clés : musique, évolution, blues, rock, jazz

Quand Elvis Presley révolutionne l’univers de la musique, plusieurs lui reprochent de chanter « comme un Noir ». À l’époque, dans les années cinquante, cette comparaison est teintée de racisme. Pourtant, le jeune chanteur est bel et bien influencé par la « musique noire ». C’est justement de cette influence que naît le rock’n’roll et c’est grâce à celle-ci qu’il deviendra le King.

« L’un des facteurs les plus importants pour expliquer l’apparition de nouveaux styles musicaux est la rencontre de cultures musicales différentes », explique Philip Tagg, professeur à la Faculté de musique de l’Université de Montréal et spécialiste de la musique américaine. On ne peut pas comprendre l’évolution de la musique en se référant uniquement au génie de précurseurs bien inspirés. Il faut tenir compte des contextes sociologiques et démographiques, ainsi que des aléas de l’Histoire et du quotidien des gens. L’évolution de la musique aux États-Unis regorge d’exemples.

« Prenons le cas d’Elvis, continue le chercheur. Il a grandi à Memphis dans le delta du Mississipi, une région agricole qui est aussi le lieu de naissance du blues et de grands bluesmen. » Or, le blues, c’est la fameuse « musique de Noirs » qui a inspiré le rockeur.

 
 
Elvis Presley, Blue Suede Shoes (1956)


D’autres styles musicaux proviennent aussi de cette rencontre entre culture blanche et culture noire aux États-Unis. Le jazz, par exemple, voit le jour quand les Noirs de la Nouvelle-Orléans incorporent des rythmes de marche militaire et d’hymnes européens dans leur musique. Et de la conversion des communautés afro-américaines au christianisme, la religion des Blancs, naît le gospel.

Toutefois, si les colons blancs ont librement choisi de traverser l’Atlantique, ce n’est pas le cas des Africains. Ces derniers ont débarqué en Amérique comme esclaves et leur art musical en a été profondément transformé. La musique, comme tous les moyens d’expression, évolue en réponse aux changements qui surviennent dans la société.

Le blues en est un exemple extrême. Les racines de ce style musical sont en effet africaines. « On peut encore constater des similarités entre le blues et les chants des tribus de l’Afrique de l’Ouest à notre époque », note Philip Tagg. L’une de ces ressemblances est l’appel-réponse. Dans cette structure de chant, un leader chante ou joue une première phrase et un groupe réagit ou y répond dans une deuxième.

 
 

John Lee Hooker, Hobo Blues (1949), vidéo 1965


Dans les États-Unis du XVIIIe siècle, l’appel-réponse reste encore le squelette des chansons des esclaves noirs. Mais celles-ci reflètent désormais la réalité quotidienne de la servitude, ainsi que la nostalgie de la liberté et de la terre des ancêtres. Les field hollers, par exemple, sont des complaintes lancées par un ramasseur de coton à l’intention des autres ouvriers agricoles ou bien d’un porteur d’eau.

Lorsque les field hollers donnent naissance au blues au début du XXe siècle, ce style musical hérite, entre autres, de l’appel-réponse. Cependant, la réponse provient désormais d’un instrument ou du chanteur lui-même qui se répète. Et même si l’esclavage est aboli au cours du XIXe siècle, le blues en incorpore aussi la mélancolie qu’on lui connaît toujours aujourd’hui.

S’il reste fidèle à ses origines, le blues n’a pas cessé d’évoluer depuis l’époque des rives du Mississipi. Comme d’autres styles musicaux, il s’est notamment transformé grâce aux instruments avec lesquels on le joue. À l’époque de l’esclavagisme, les musiciens noirs jouaient du banjo, dérivé de la kora de l’Afrique de l’Ouest. Ils apprenaient aussi à se servir du violon, pour une raison bien pratique : s’attirer les faveurs des maîtres blancs, qui appréciaient cet instrument.

 
 
B.B. King à l’émission Ralph Gleason’s Jazz Casual, en 1968


Avec l’urbanisation du XXe siècle, le blues sort des campagnes pour se rendre en ville. « Pour se faire entendre dans le nouvel environnement bruyant des blues bars, il recourt au piano et à sa forte sonorité », raconte Philip Tagg. C’est l’âge d’or du piano blues. Mais la technologie lui oppose bientôt de redoutables compétiteurs, dont la guitare électrique. Puissante et grinçante, celle-ci transforme profondément la sonorité du blues. Elle devient même l’emblème d’un nouveau style : le blues de Chicago. Lucille, la guitare électrique du grand bluesman B.B. King, est aussi célèbre que son propriétaire.

Et celui-ci inspirera nombre de musiciens, en particulier un Blanc qui fera un King de lui-même, un certain Elvis Presley. Une longue évolution depuis les chaînes des esclaves jusqu’à Jailhouse Rock.


Bruno Lamolet
Collaboration spéciale