Mots-clés : manuels scolaires, science

Au secours, on nous manipule! Les images de nos manuels scolaires sont fausses!

Soutenu par la Commission européenne, le projet Biohead-Citizen étudie les interactions entre les connaissances scientifiques et les systèmes de valeurs de société dans 19 pays d’Europe, d’Afrique et du Moyen-Orient. Comment les questions sensibles d’une société, telles que la sexualité, l’évolution des espèces, la part d’inné et d’acquis, la génétique, etc. sont-elles enseignées? Quels sont les critères qui déterminent les conceptions scientifiques des enseignants? Sont-ils liés à la culture, à la religion, à l’histoire, à la situation économique et géopolitique d’un pays? Comment les représentations visuelles scientifiques véhiculent-elles le système de valeurs d’une société?

Pour répondre à ces questions, Pierre Clément, directeur du programme et professeur à l’Université de Lyon 1, a analysé, en collaboration avec d’autres chercheurs européens, les programmes et les manuels scolaires des différents systèmes éducatifs de la zone de recherche. Il a de plus mené une enquête individuelle réalisée auprès de plusieurs milliers d’enseignants afin de déterminer leur niveau de connaissances en sciences, leurs croyances et leurs systèmes de valeurs. Les résultats sont surprenants.

Par exemple, en observant l’évolution des manuels de sciences, le programme Biohead-Citizen montre que l’enseignement à l’éducation sexuelle s’est fortement dégradé en France depuis les années 80. Alors que les livres scolaires des années 70 traitaient de l’anatomie féminine et masculine avec une foule de détails, d’illustrations et de légendes, les manuels des années 2000 sont devenus pudiques et peu informatifs, révélant ainsi un changement de valeurs de la société. D’après Pierre Clément, l’émergence du sida dans les années 80 aurait sonné le glas de la libération sexuelle.

Même constat au sujet de l’enseignement de l’évolution des espèces. Si la matière n’est pas au programme scolaire comme à Malte ou en Grande-Bretagne, ou carrément supprimée comme au Maroc, en Tunisie, au Liban et au Portugal, le sujet est peu présent en France. Oui, l’illustration traditionnelle du singe se dressant progressivement jusqu’à devenir un homme debout continue à peupler l’imaginaire des petits Français en dépit de son absurdité scientifique. De plus, l’Homme y est représenté presque exclusivement par un homme, blanc, nu ou en costard et en cravate… même au Sénégal!

Les manuels scolaires scientifiques seraient-ils donc porteurs de l’idéologie dominante du moment, faisant fi des savoirs scientifiques? « Absolument », répond Pierre Clément.

La culture scientifique dépend très largement des valeurs d’une société et des enseignants. Ainsi, comme le montre l’étude, les enseignants croyants, quelle que soit leur religion, sont plus enclins à adhérer à des théories créationnistes et déterministes ainsi qu’à des valeurs de société traditionnelles comparativement à leurs homologues athées ou agnostiques. Pierre Clément ne s’en cache pas, la portée finale de cette étude est essentiellement politique : dénoncer l’idéologie omniprésente afin de rendre nos systèmes éducatifs plus responsables.

Odile Clerc, collaboration spéciale