Mots-clés : audition, MP3, compression numérique, Semaine du Son

Debout dans l’autobus, le sac au dos, les écouteurs vissés aux oreilles, il a l’âge d’aller au cégep. À côté de lui, les autres passagers peuvent entendre la musique qu’il écoute malgré le bruit de la circulation et des conversations. Mais, évadé dans un monde parallèle, le jeune homme les ignore. De même, il ignore qu’il possède déjà l’audition d’un ouvrier de métallurgie âgé d’une quarantaine d’années. Et, quand il atteindra lui-même cet âge, il ne pourra plus insérer d’écouteurs dans ses oreilles, car la place sera déjà prise par des prothèses auditives. Le drame, c’est qu’ils sont de plus en plus nombreux, comme lui, à se détruire l’ouïe.

« Il faudrait fabriquer des baladeurs numériques qui limitent le volume à un niveau sonore sécuritaire, affirme Pierre de Coninck, designer industriel à l’Université de Montréal. Quand le son est trop fort, cela endommage l’audition, à petit feu, mais c’est irréversible! » Mauvaise nouvelle. Les baladeurs numériques sont de plus en plus populaires et de plus en plus de gens s’injectent tous les jours une forte dose de décibels directement dans le creux de l’oreille. Alors, d’où vient cet engouement pour ces appareils?

En premier lieu, il provient d’une petite révolution dans le monde de la musique numérique : le format MP3. Le format MP3 est un langage informatique lisible par les baladeurs numériques ou les ordinateurs. Son principal avantage, par rapport au langage informatique habituel des chansons gravées sur CD, est qu’il occupe environ dix fois moins d’espace de stockage. Pourquoi? Parce que, dans un fichier MP3, on a effacé tous les sons captés lors de l’enregistrement de la chanson que l’oreille humaine ne peut entendre. C’est le cas, par exemple, des sons trop graves ou trop aigus. Pas de gaspillage d’espace dans un fichier MP3!

 

La Fondation des Sourds de Nouvelle-Zélande (NFD) s’est inspirée de la célèbre publicité d’un fabricant de baladeurs pour sa campagne de prévention contre les dommages causés par l’abus de décibels.

Et Internet fut...

Les premières chansons MP3 apparaissent au milieu des années 90, quand la vague Internet commence à déferler. La haute vitesse n’existe pas encore et la petite taille de leur fichier en facilite le transfert sur le web. Les versions MP3 des succès d’hier et d’aujourd’hui se retrouvent alors rapidement à portée de clic des internautes. Or, ceux que passent le plus de temps devant un ordinateur branché sur Internet sont également ceux qui consomment le plus de musique : les jeunes. C’est par eux qu’Internet devient la caverne d’Ali Baba des chansons : pas besoin de se déplacer au magasin, pas d’heures d’ouverture et, surtout, pas d’argent à dépenser, car ces fichiers sont gratuits. Bref, le MP3, même s’il est illégal, facilite la vie… et les plus vieux y succombent rapidement eux aussi.

À cause du format MP3, les utilisateurs s’habituent à manipuler des fichiers informatiques de chansons. Ces fichiers sont faciles à copier, à transporter et à transférer d’un appareil à l’autre. L’ordinateur acquiert de nouvelles fonctions : il devient à la fois discothèque et diffuseur de musique. Le baladeur numérique prend le dessus sur le baladeur à CD conventionnel.

De nouvelles habitudes d’écoute

Il y a quelques années, avec un baladeur traditionnel, il fallait traîner avec soi un étui à CD bien rempli pour avoir un minimum de choix musical. Aujourd’hui, un baladeur MP3 possède sa propre mémoire de stockage. Désormais, il peut contenir « jusqu’à plusieurs dizaines de milliers de chansons [et] permet véritablement d’emporter l’intégralité de sa discothèque avec soi, donnant à l’auditeur un sentiment de liberté qui n’est pas pour rien dans le succès foudroyant de cet appareil », affirme l’historien français Ludovic Tournès.

On dispose alors d’un grand nombre de titres stockés dans la mémoire d’un seul appareil portatif. Et ça change la façon de les écouter. Par exemple, avec les listes de chansons : plutôt que d’écouter un album complet, chacun peut facilement programmer une séquence de titres sélectionnés à partir de plusieurs disques différents. Ainsi, à partir du même nombre de chansons en mémoire, on peut créer une liste de chansons pour s’entraîner, une autre pour étudier, pour relaxer ou, encore, pour se réveiller le matin. On n’écoute donc plus nécessairement un album, mais souvent sa propre compilation maison de chansons en fonction de l’humeur ou de l’activité du moment.

En fin de compte, ultimement, le MP3, c’est la liberté d’écouter plus facilement ce que je veux, où je le veux et quand je le veux. Avec les microsillons et les cassettes, les plus grands artistes sont entrés dans nos salons; avec le MP3, ils nous suivent au travail ou à la plage.

 

Une qualité sonore pourtant moins bonne

Cela dit, le format MP3 offre une qualité sonore légèrement inférieure à celle du CD. C’est le prix à payer pour réduire la taille du fichier. Pour Denis Brûlé, spécialiste en entrepreneuriat sur Internet, « c’est une nouveauté dans l’histoire de l’innovation musicale qui, jusqu’alors, allait dans le sens d’une amélioration constante de l’expérience d’écoute. » Cependant, peu de gens sont capables de détecter la légère perte de qualité. Particulièrement dans un autobus! Et ce faible inconvénient ne fait, de toute façon, pas le poids face à la liberté que procure le baladeur numérique.

Or, si c’est grâce au format MP3 que les amateurs ont découvert les avantages qu’il y a à manipuler des fichiers informatiques plutôt que des CD, ces mêmes amateurs peuvent désormais se passer du format MP3. Avec l’accroissement fulgurant des capacités de mémoire des baladeurs numériques et des vitesses de téléchargement, la petite taille des fichiers MP3 n’est plus toujours un avantage. Aujourd’hui, on peut donc manipuler et écouter, en format MP3, des fichiers informatiques de chansons non comprimées de même qualité que celles que l’on retrouve sur un CD.

Le « CDinosaure »? « L’albuMomie »?

Internet, ordinateur, baladeur numérique, mémoire physiquement plus petite, mais de plus grande capacité, le CD devient désuet. Il est aujourd’hui une espèce menacée. La popularité du format MP3 conduira-t-elle le CD à son extinction? Bien malin qui peut le prédire, mais on peut s’inquiéter.

Par ailleurs, beaucoup de consommateurs ne téléchargent que les chansons qu’ils aiment, même légalement, et non plus nécessairement un album au complet. L’objet de consommation n’est donc plus l’album traditionnel contenant une dizaine de chansons, mais de plus en plus les chansons individuelles. Un artiste n’a même plus besoin de composer un album complet pour vendre des chansons! Tiens! Cela vous rappelle-t-il quelque chose?

Hé! Oui! L’époque du 45 tours! Comme quoi plus ça change...

Bruno Lamolet, collaboration spéciale