Mots-clés : communication animale, Semaine du Son

Dans La symphonie animale, Antonio Fischetti, docteur en acoustique et journaliste scientifique (Charlie Hebdo), explore l’univers de la communication sonore animale. Sauvage ou domestique, mammifère ou créature aquatique, dans les airs ou sur la terre, chaque espèce utilise le son différemment pour assurer sa survie. À chaque espèce, sa partition.

« Le son est le sens royal de l’alerte! C’est à la fois rapide et instantané, explique Antonio Fischetti. Chez l’homme comme chez l’animal, le premier réflexe en cas de danger est de crier, qu’il s’agisse de l’imminence d’un incident ou de la venue du gros méchant loup… “Sauve qui peut! Violent orage et prédateur à l’horizon!”, hurle ainsi la proie au reste du troupeau. »

Le son présente aussi l’avantage d’être éphémère : il ne laisse pas de traces. Il est, pourrait-on dire, sans odeur et sans saveur… L’oiseau qui « chante » la présence du chat bénéficie d’un quasi-anonymat. Le félin, dépité, ne peut se fier à son nez pour remonter la piste. Plus encore, pour certaines espèces, le son permet une incontournable adaptation au milieu. Les oiseaux et les baleines, par exemple, peuvent difficilement compter sur leur vision pour communiquer avec leurs semblables. Pas facile de repérer un congénère à travers le feuillage ou de rejoindre le reste de la bande dans les sombres profondeurs de l’océan!

« Évolution oblige, ces deux espèces sont devenues les plus virtuoses en matière sonore. » Certaines baleines – les baleines à bosse – sont même considérées comme de véritables « chanteuses ». Sur le plan de l’étendue du registre, ces cétacés battent même les oiseaux! Leur répertoire ne compte qu’une douzaine de notes, mais, en combinant ces notes en différentes séquences enchaînées les unes à la suite des autres, les baleines à bosse parviennent à chanter pendant plusieurs dizaines de minutes d’affilée.

Mais pourquoi de tels concerts? Quelques notes ne suffisent-elles pas pour prendre contact avec les copains? « Il pourrait y avoir du sexe là-dessous, explique l’auteur. Chez les baleines à bosse; cet “art” est, en effet, réservé à la gent masculine et se pratique surtout en période de reproduction. »

 

Sexe et compagnie

À ce sujet, les baleines ne font pas exception. Règle générale, les mâles font plus de bruit que les femelles et rivalisent d’ingéniosité pour s’attirer les faveurs de l’autre sexe. Un exemple extrême? Celui des canaris. « Les oiselles focalisent tout sur le son. Et il suffit de placer une femelle canari devant un haut-parleur diffusant le chant du mâle pour la voir tomber amoureuse du haut-parleur. »

Chez les grenouilles, comme on le sait, on se rassemble en chorale pendant la saison des amours. Et ce sont les voix les plus puissantes, les lead singer de la troupe, si l’on peut dire, qui gagnent le cœur des demoiselles.

Le cerf, quant à lui, a instauré de véritables joutes vocales de brames. Lors de la période de reproduction, ces duels chantés s’étirent sur plusieurs jours, réduisant au minimum la lutte « corps à corps » (ou plutôt « bois contre bois »). L’avantage? Limiter les risques de blessures et, donc, leur vulnérabilité face aux prédateurs.

Pourtant dépourvus de cordes vocales, même certains insectes peuvent faire un boucan d’enfer. À preuve, en frottant ses deux ailes antérieures, le grillon produit plusieurs types de chants, dont chacun correspond à une étape différente de l’accouplement.

Une curiosité : chez nos cousins primates, côté son, ce sont les femelles qui s’en donnent à cœur joie, et ce, pendant le coït. Babouines et femelles gibbons connaîtraient donc « le septième ciel »…

 

Un éléphant, ça trompe énormément

Les zoologistes ont cherché pendant longtemps à comprendre comment les éléphants communiquaient entre eux alors que des dizaines de kilomètres les séparaient les uns des autres. Et pour trouver la réponse, il ne suffisait pas de tendre l’oreille puisque les pachydermes produisent des infrasons. Imperceptibles à l’oreille humaine, ces sons de très basses fréquences peuvent voyager sur d’impressionnantes distances jusqu’à leur destinataire.

Un exemple de la mystérieuse mécanique du son, invisible, soit, mais pas immatérielle pour autant. « Émettre un son, cela commence toujours par faire vibrer une partie de son corps. Et si l’instrument varie d’une espèce à l’autre – les cordes vocales de l’homme, la poitrine du gorille, les ailes du grillon – l’objectif demeure le même : faire vibrer les particules de l’air, produisant ainsi, par effet domino, ce qu’on appelle une onde acoustique. »

Même les poissons et les crustacés ont recours au son, et avec des instruments bien particuliers. Les harengs, par exemple, se servent de leur anus; ils pètent, littéralement, surtout pendant la nuit, afin de rester en contact les uns avec les autres. Les crevettes entrechoquent leurs pinces pour impressionner leurs ennemis, provoquant un vacarme de plus de 200 décibels!

Presque aveugles, les araignées sont aussi devenues de véritables spécialistes du son. Les poils et les fentes de leur corps perçoivent la moindre vibration provenant d’un mouvement sur la toile. Pour contrer cette faculté et éviter de servir de lunch, chez certaines espèces d’araignées, le mâle qui atterrit sur la toile d’une femelle, par hasard ou en vue d’un accouplement, a dû développer une subtile danse nuptiale, une série de vibrations distinctes de celles d’un insecte pris au piège.

Le répertoire des sons animal est si riche qu’on a même découvert l’existence de dialectes chez certaines espèces d’oiseaux, ce qui tend à démontrer que la communication animale ne peut être considérée seulement comme étant un réflexe inné. En d’autres mots, contrairement à ce qu’on a longtemps pensé, les animaux apprendraient, du moins en partie, leur « langue »!

Minou et pitou

Dans La symphonie animale, Antonio Fischetti consacre un court chapitre aux animaux domestiques. « Une question de littérature scientifique, explique-t-il. On trouve beaucoup plus de choses sur les éléphants que sur les chiens! Peut-être que les chercheurs ont jugé plus intéressant d’aller dans la savane que de regarder ce qui se passait sous leurs yeux! » Mais, une chose est certaine : minou et pitou s’expriment beaucoup plus « vocalement » que leurs cousins sauvages, cela parce que leur survie passe par la communication avec leur maître, cet éternel bavard.

Ainsi, le loup n’utilise que des aboiements grossiers et rudimentaires; il préfère le langage du corps, les postures et les grimaces à la communication sonore. Seul le hurlement, l’appel à la meute, est davantage privilégié par le loup que par le chien. Qu’on se le tienne pour dit, c’est bien pour nos oreilles que pitou aboie autant!

De la même manière, si le lynx et le puma ronronnent, le chat en rajoute sur les genoux de son propriétaire. À l’origine, le ronronnement est un moyen de communication entre le chaton et sa mère, une façon de dire « Je suis bien avec toi, protège-moi! ». En situation de stress, comme chez le vétérinaire, minette peut aussi régresser au stade de la petite enfance. Traduction? « Sauve-moi des griffes de ce méchant prédateur! »

Communiquer, c’est parler?

Par rapport au langage humain, les communications sonores animales demeurent primitives. Même nos cousins chimpanzés ne peuvent réellement parler. « On s’est longtemps demandé si c’était à cause de leur cerveau ou de leur conduit vocal, rappelle Fischetti. On leur a montré le langage des signes : ils ont appris des mots, mais ils n’ont jamais été capables de faire de véritables phrases. »

Précision : plusieurs animaux, dont les singes, les oiseaux et certains mammifères marins, peuvent assembler des « mots », des « sons ». La mésange, par exemple, peut agencer différemment les quelques notes de son répertoire afin de préciser si le danger provient du ciel ou du sol, ce qui démontre une certaine conceptualisation.

Cela dit, pour la mésange, comme pour les autres animaux, seul le temps présent existe. L’homme est donc le seul à pouvoir raconter une histoire…

Julie Calvé, collaboration spéciale