Whaam!, dyptique de Roy Lichtenstein, 1963

Mots-clés : bandes dessinées, onomatopées, sons, Semaine du Son

Dans le bureau de Philippe Sohet, des tonnes de notes, d’articles et de volumes. Tous reliés à la BD. Pas de doute : ce professeur au département de communication sociale et publique de l’UQÀM est un passionné du genre. Codirecteur d’un groupe de recherche sur les narrations graphiques, il planche sur les planches à temps plein, et pas juste pour le plaisir. Son domaine de recherche : l’univers sonore de la BD. Un domaine moins inusité qu’on ne pourrait l’imaginer. « Il existe beaucoup de mémoires et de recherches sur le son dans la bande dessinée. C’est une des premières choses que les gens ont étudiées, car l’inscription du son dans l’image est vraiment spécifique à ce médium », explique-t-il.

Historiquement, le son a mis beaucoup de temps à s’intégrer au récit. Sa place dépendait du résultat d’une autre grande bataille, celle entre le texte et l’image. Dès le Moyen-Âge, les illustrateurs incorporent des indices à leurs œuvres pour attribuer la parole à des personnages. « À cette époque, on se méfiait de l’image, car celle-ci laisse place à l’interprétation. Accompagner l’image de texte permettait de préciser l’action pour éviter tout malentendu. »

Et puis naquit le « paf! »

Ce n’est qu’en 1780 que l’illustrateur anglais Rowlandson intègre au récit imagé la bulle sous sa forme actuelle pour rapporter les propos des personnages. Il faut attendre l’invention de la BD au 19e siècle pour voir apparaître, dans les comics américains, les premières onomatopées, qui visent à simuler un bruit associé à un être, un animal ou un objet, en imitant les sons qu’il produit. « On a qu’à penser au son d’une arme à feu (pow!) ou d’une masse qui tombe sur la tête de quelqu’un (bang!) pour comprendre que les récits d’aventure et d’humour, genres privilégiés à l’époque, sont tout à fait désignés pour l’intégration d’onomatopées. » Les « boum », « crac », « dring », « grrr », « humpf », « paf », « splash » et « zzz » figurent aussi parmi les plus utilisées.

 

Reynard put to his shifts, Thomas Rowlandson, 1784

De l’art de crier silencieusement

Cette évolution marque un tournant dans la forme des illustrations, autant pour les paroles que pour les bruits. « Dès lors, on ne parle plus de cohabitation du texte et de l’image. Le texte devient image lui aussi. La forme de la bulle, son appendice, l’épaisseur du trait et la police de caractère peuvent traduire aussi bien le ton, l’accent que l’émotion, explique Philippe Sohet. Par exemple, dans la bulle d’un personnage s’écriant “Aaaaah!”, supposons que les lettres décrivent un arc de cercle. Le bruit en sera alors teinté d’un crescendo et d’un decrescendo ».

C’est le manga japonais qui a le plus innové en la matière au cours des dernières décennies. Les accumulations d’onomatopées y sont spectaculaires. Au point où les éditeurs sont confrontés à de sérieux problèmes au moment de la traduction. « Il est facile de traduire Tintin. Vous effacez le contenu des bulles et réécrivez dans la langue de votre choix. Mais traduire une onomatopée japonaise implique, en quelque sorte, de retirer une partie du dessin. Beaucoup d’éditeurs ont simplement renoncé à les traduire ».

 

Double Arts, par Komi Naoshi

Onomatopées 2.0

L’onomatopée et le phylactère ont atteint le statut d’incontournables en bande dessinée. On cherche à les améliorer, les réinventer... au point de parfois en faire des objets de scénario! « Certaines planches visent simplement à se moquer des onomatopées. Une bande dessinée les avait toutes remplacées par des noms d’écrivains. Quand un personnage en giflait un autre, au lieu d’avoir “vlan!”, vous aviez “vian!”, pour Boris Vian ».

La tendance actuelle consiste à rechercher de nouvelles façons d’exprimer le bruit. « Un des albums de l’illustrateur français Baudoin, La Peau du Lézard, contient une petite perle. Pour indiquer le vacarme d’une moto dans un village paisible, il se contente d’illustrer le décor en traits excessivement fins, précis. La moto, en gros plan, est, pour sa part, dessinée au pinceau. De gros traits noirs, larges et grossiers. Il n’y a pas d’onomatopées, mais ça suffit amplement pour comprendre le message. » Fascinant!

 

La Peau du Lézard, Edmond Baudoin

Silence sur la planche!

Petite question piège en terminant, monsieur le professeur. Comment parvient-on à illustrer le silence? « C’est un des beaux paradoxes de la bande dessinée! Pour moi, les meilleures illustrations du silence se font par un jeu sur la représentation. Soit sur la taille de vignette, mais le plus souvent sur la série. Plusieurs petites vignettes muettes, qui décrivent une action lente, sans aucun trait de bruit. Le lecteur saisit l’astuce ».

Pour Philippe Sohet, l’avenir de la BD imprimée réside d’ailleurs dans cette habileté des créateurs à se renouveler, notamment au point de vue des représentations sonores. L’apparition de bandes dessinées numérisées sur le web, bonifiées d’une trame sonore et de voix, le laisse toutefois songeur. « Ces œuvres s’avèrent souvent très décevantes. Juguler l’imaginaire du lecteur le prive d’une grande partie de son plaisir. »

Guillaume Saint-Onge, collaboration spéciale

Un atelier d’animation sur les sons et la bande-dessinée est offert dans le cadre de la Semaine du Son